Skyfall ~ Lb

skyfall

La forêt. L'élément du Corbeau. Ici, il se sent libre de ses mouvements. Parfaitement à l'aise, chez lui. Les cris des animaux, les chants des oiseaux et des insectes, le sifflement du vent qui ébouriffe son pelage, le bruissement des feuilles, l'haleine de la mousse qui effleure son museau, la tiédeur de la terre sous ses pattes. De telles petites choses qui vous paraissent insignifiantes sont tellement rassurantes pour ceux qui avaient peur de les avoir oubliées. En quelques sortes, le Corbeau se sent heureux de retrouver chez lui les mêmes sons, les mêmes senteurs, les mêmes sensations que lorsqu'il a quitté la forêt. Décidément, il ne se sentirait bien qu'entouré d'arbres. Il ouvre les yeux. Il se tient là, debout, au beau milieu de nulle part, mais partout à la fois. Il ressent la présence de chacun de ses frères à plusieurs lieues a la ronde comme s'ils ne formaient qu'un tout. La Meute. Comment avait-il fait pour passer outre à la Meute ? Il ouvre les yeux, et jette un regard sur sa pauvre existence. Misérable existence. Debout, solidement campé sur ses pattes, il avance. Tête basse, il prend soin d'examiner chaque odeur, chaque bruit, chaque sensation. Le Corbeau avance lentement. Il redécouvre son monde à lui. Il lève la tête, et admire le ciel à travers la cime des arbres à l'écorce brulée. Les lourds nuages noirs laissent traverser les derniers rayons du soleil de la journée, annonçant la fin des beaux jours, ainsi que l'arrivée de l'averse. Sa peau frissonne, et il se remet en marche. Il avance, jusqu'à un misérable petit ruisseau. Tout aussi misérable que lui. Il se penche, et admire son reflet. Une pâle copie de lui même, terne et sombre. Il se voit, se redécouvre, d'une maigreur appeurante, les yeux rongés par le désespoir, le poitrail griffé de nombreuses cicatrices qui n'ont pas toutes eues le temps de cicatriser. Son ventre lui fait mal. Il avait oublié la signification de cette sensation qui pourtant l'habite chaque jour. La faim et la soif. Son museau frôle la surface du ruisseau, et il lape l'eau limpide et froide. Il la sent couler dans sa gorge, et le long de ses babines. Il devra tenir avec cela. Il n'a pas l'envie de chasser, pas maintenant. Son esprit est habité par ses souvenirs. Il sait qu'il doit attendre ici. Il sait qu'il viendra. Il sait que c'est le seul à qui il faut qu'il parle. Il doit lui parler. Il doit parler. Peut être a-t-il même oublié le son de sa voix ? Cela fait tellement longtemps qu'aucun son ne s’est échappé de son gosier. Pas même un grondement. L'horreur de la guerre semble toujours présente, à chaque instant. Sa respiration, lente, et douloureuse, fait un sifflement inquiétant. Et comme chaque jour, il a peur. Le loup sombre s'allonge dans la terre humide, et lève les yeux au ciel. Il admire à travers les feuilles l'arrivée de la lune que la Meute chérit. La voilà, haut dans le ciel, brillant un peu plus à chaque instant. Le grand loup ferme les yeux, et chante. Il chante ses peurs, il chante sa lune, il chante sa vie, il chante sa mort. Et la Meute lui répond. Tous ses frères lui répondent en écho. Ils sont loin, tous très loin, mais ils répondent à sa complainte. Il n'est pas seul. Ses yeux se détachent du spectacle nocturne, et il fixe l'horizon. Il attend sa venue.