Born this way . Pv

La nuit est encore présente malgré que l'heure de l'aube soit proche. Partout, sur les terres inondées, la lune étend son reflet blafard sur la surface de l'eau boueuse. Un loup au pelage souillé de boue avance péniblement dans la tourbe de ce bourbier qui semble sans fin. Sharpe Buck patauge comme il peut dans ce lieu immonde et puant. Des moustiques de la nuit dernière l'assaillent avec des bourdonnements aiguës et insupportables. Le puissant mâle serre les crocs et redouble d'efforts. Puis, d'un coup, il est aspiré vers le bas dans la boue. Le loup s'enfonce jusqu'au poitrail dans la tourbe puante. Se sentant pris au piège, Sharpe Buck regarde de partout, tourne la tête dans tous les sens, attendant qu'un nouveau danger vienne le happer pour mettre enfin un terme à ces jours torturés. Malgré tout, il tente tant bien que mal de se sortir de cet endroit infect. Il bande tous ses muscles, durcit encore un peu plus sa volonté de vivre même si elle n'existe plus et parvient à sortir péniblement ses deux pattes avant sur une surface dure sur laquelle il prend appui. Mais la boue se referme encore plus sur son train arrière. Il se débat comme un demeuré, s'agite dans tous les sens et grogne de désarroi quand, épuisé, il laisse choir sa tête sur la terre, entre ses deux pattes libres. Il attend ainsi, une heure durant, que la mort vienne le chercher. Mais cette mort ne juge pas que l'heure de Buck a sonné. La vie décide de le faire souffrir un peu encore. Le mâle, à bout de force, sent quelque chose de dur sous une de ses pattes arrière. Il se redresse et pousse du peu de force qu'il lui reste sur cette surface dure et solide. Et, dans un affreux bruit de succion, il parvient à s'extirper péniblement de la boue. Tremblant, il reprend sa marche, couvert de boue. Peu à peu, la fatigue s'estompe et il reprend du poil de la bête.

« Tu as eu de la chance, le loup. Mais méfie-toi, les dangers ne sont pas toujours là où l'on croit les voir. » Le mâle ne l'avait pas entendue approcher. Il sursaute et se retourne brutalement. Devant lui se tient une louve d'une blancheur surprenante. Ses yeux fous la parcourent rapidement, évaluant les chances qu'il a d'en sortir vivant. Il est persuadé que, sous ses apparences angéliques, elle est là pour l'achever et l'envoyer en Enfer pour tous ses crimes, aussi futiles soient-ils. Ce mot "le loup" fait comme sous-entendre qu'elle ne fait pas partie de cette espèce. Sans doute un démon l'habite et elle a oublié qu'elle n'est pas sous sa forme naturelle. Son souffle est rauque et il regarde la louve dans les yeux mais elle se détourne. Cela l'intrigue mais l'apeure en même temps. Qu'est-ce que ce comportement anormal qui cache peut-être un mal affreux ou portant au supplice ? Sharpe Buck est au bord de la crise de folie et il a presque la queue entre les jambes. Mais, comme toujours, il reprend le dessus en apparence et, malgré les chuchotements qui l'assaillent à coups répétés, le voile fou de ses yeux s'ôte et apparaît comme intelligent et presque normal. Mais sa voix reste rauque, sans timbre et blanche. Il tremblote presque, tant cela fait longtemps que ses cordes vocales ne se sont pas agitées de la sorte. Elle vibrent un peu, alors que sa voix redevient assurée. « Chance ? C'est bien un grand mot. J'aurais préféré finir enseveli. Mais va savoir pourquoi je m'en suis tiré. J'aurais mieux fait de me laisser aller. » Ses yeux ternes se perdent dans un paysage inexistant. Ces belles paroles sont toujours presque autant dénuées de sens et encore, l'occasion est presque festive ; Sharpe Buck a réussi à aligner quelques phrases pourvues d'un sens, même tordu.

« Peut-être puis-je t'aider ? » Le grand mâle plisse les yeux, tentant de scruter le démon qui se cache dans le corps de la belle blanche, et lui lance un regard comme s'il lui disait ne t'en fais pas, je t'aurais. La proposition de la louve surprit le gris. Son ton était glacial, voir cruel et Sharpe Buck n'en fut que plus étonné de ses paroles. Alors que sa peur s'envolait peu à peu pour laisser place à la neutralité absolue, il éclate d'un grand rire. Ce rire est sincère mais dénué de timbre, comme à son habitude. Lorsqu'il parvient à retrouver un peu son calme, il dévisage la louve blanche avec des yeux perçants. Puis d'un ton froid, il répond sèchement. « M'aider à quoi ? A sortir de cette vie brûlante et immonde ? A oublier que je suis taré ? » Sharpe Buck se laisse emporter par le flot brûlant de la colère. Puis il se reprend, se rappelant soudain que sa folie doit être la mieux camouflée possible. Dans un murmure, il grommelle avec une aigreur perceptible. « Oublie ce que je viens de dire, ça n'a aucune importance, au fond. » C'est faux, c'est faux, c'est FAUX ! Lui hurle une petite voix, intérieurement. Il la chasse en jetant un œil au soleil qui commence à poindre derrière les nuages amoncelés dans le ciel. Il secoue la tête, comme pour empêcher la voix de se manifester de nouveau. Puis il replonge son regard dans celui de la blanche. Il n'a rien à perdre avec elle, après tout. Son esprit mitigé la voit devenir transparente, le démon qui l'habite ricaner entre ses entrailles. Il cligne des yeux, comme s'il venait de rester dix ans à regarder le soleil. Mais la louve redevient poilue, blanche et il ne voit plus rien à travers elle, ou dans son corps. Un gargouillement impérieux le sort des pensées qui l'habitent, de comment et pourquoi ce démon a réussi à pénétrer la louve. Son estomac crie famine depuis maintenant deux jours et Sharpe Buck feinte toujours de l'oublier. Mais à présent, la faim est trop tenace pour qu'il fasse semblant de rien. Il grogne légèrement, mais ne se met pas en quête d'une proie. Par politesse ? Peut-être. Ou peut-être pas.