I'm Not Afraid ! -PV Salador-

Cette terre si chère l’a vu naître, l’a vu grandir, l’a vu s’enfermer dans de profondes ténèbres. Des ténèbres qui ne faisaient que s’épaissir, encore et toujours, depuis le départ de sa belle Étoile. Les couchers de soleil ne lui avaient jamais paru aussi lointains, les diamants de la nuit si proches. Il voulait les attraper, en capturer quelques-unes pour illuminer son monde sans lumière. Mais à chacune de ses tentatives, elles s’éloignaient en riant et sautillant. Et dans son dos, la Mort continuait à polir sa faux, faisant grincer sa lame sur un morceau de pierre. Ses voiles vaporeux le narguaient en lui chatouillant les flancs, des flancs qui paraissaient affreusement maigres pour un Élite. Ses côtes saillaient sous son pelage en bataille, autrefois propre et soigné. Ses affreuses cicatrices sur ses membres avaient disparu sous une couche de crasse impressionnante. Ses prunelles, d’un noir d’encre, semblait plus sombre que jamais. Il voulait simplement que la Grande Faucheuse le prenne dans ses bras, l’enveloppe dans une étreinte chaude et confortable.

Oui, Salador ne voulait plus vivre, ne voulait plus se battre contre des forces invincibles. Il avait tant souffert, dans sa prime jeunesse, avec ces loups de malheur, cette Communauté. Que tous les esprits les damnent à jamais. Le Grand avait toujours sa musculature impressionnante et faisait rouler ses muscles sous son vieux manteau. Ses pattes martelaient le sol, et pourtant, aucun bruit ne pouvait révéler sa présence. Le noir de la nuit camouflait sa massive stature, la fine couche de neige étouffait le crissement de ses griffes. La queue basse, la tête rentrée dans les épaules, l’annonceur de la Mort se frayait un chemin parmi les ruines des Bois Ancestraux. Le brouillard le recouvrait, comment à son habitude, et plus de branches qu’à la normale jonchaient le plancher des vaches. L’œuvre toujours présente de Kalnas. Loin d’être agile, vu son entrainement rigoureux d’Élite –qui visait à augmenter sa masse musculaire-, Salador devait ralentir sa cadence et sauter précieusement les obstacles. Ses retombées faisaient un vacarme effrayant, et il ne voulait pas se faire voir. Il avait beau faire partie de la meute principale, venir en ce lieu dévasté pour écouter les murmures des âmes n’était jamais bien vu. Les jeunes se moquaient des aînés et de leurs traditions. Leur Histoire leur importait peu, malgré les temps troubles. Un nuage de buée se formait au rythme de son souffle précipité. Les longues distances n’étaient vraiment pas faites pour le vieux loup.

Soudain, le vent lui apporta l’effluve d’un groupe compact de lupins. D’insouciants jeunots faisant autant de bruits qu’un essaim d’abeilles. Bande d’imbéciles. Il se renfrogna et continua sa route en direction de la bande. Ils étaient seulement quelques-uns, guettant l’orée des Bois. Et semblaient pousser à l’action une petite louve. Leurs cris enragea Salador au plus haut point. On ne dérange pas le silence de la Nature. La Grande Faucheuse sur ses talons, continuant à polir sa demi-lune, le prince « noir » arriva à la hauteur du groupe et de la femelle crème avec froideur. Mais une telle froideur qu’on pouvait s’y bruler. Ses billes de ténèbres les fixèrent et sa voix rauque de ne plus avoir parlée depuis des lunes s’éleva vers les cieux :

- Bande d’idiots. Fermez votre clapet et écoutez les murmures du vent.

Ses oreilles pivotèrent vers le sol en entendant le grognement sourd de la louve.

- Et toi, cesse de te plaquer par terre ainsi. Les Bois Ancestraux ne se refermeront pas sur toi.

Sans plus jeter d’attention, Salador fit volte-face et repartit vers le milieu des Bois. Peu lui importait s’ils le suivaient. Ils n’obtiendraient rien de lui. Pas d’une ombre.

Le brouillard s’emblait s’épaissir à chaqu’un de ses pas. Plus il avançait, plus le voile vaporeux l’enveloppait dans une légère étreinte. Laissant derrière lui les insouciants et leur amie, il slalomait entre les arbres abimés. Tel un fantôme, le monde terrestre défilait sous ses membres. Aucune sensation, un seul désir : entendre les murmure des étoiles, leur chant harmonieux et leurs promesses inaccessibles. Salador hait cette vie, hait sa situation. Salador hait la mort, hait cette addiction à l’impossible. Était-ce trop demandé, trop prié, que de ne souhaiter qu’un répit, le repos éternel? Comme pour le narguer, la Grande Faucheuse glissa jusqu’à sa hauteur et caressa son pelage dru avec une de ses mains squelettiques. Le Grand leva ses yeux de ténèbres pour la fixer, envieux. Cette main purulente traça les sillons d’une mer invisible sur son échine pour terminer sa course sur son museau. Un grognement sourd s’échappa de sa gorge en une supplication pressante. Finissez-le, déesse. Il n’est déjà plus là, le glaçon, il ne ressent déjà plus rien. Cette Terre ne veut plus l’accueillir, il ne lui reste que vous, ô toute puissante déesse. Mais vous ne voulez point de lui dans vos rangs. Son devoir n’est pas fini et il ne semble point l’avoir compris. Sa mission ne fait que commencer, guidée par la mortelle demi-lune. La silhouette encapuchonnée s’éloigne tranquillement du vieux mâle et va s’asseoir sur une pierre moussue, avant de ne recommencer son futile crissement.

Comme sorti d’une transe, le mâle s’ébroue tout en continue sa cavalcade. Il commence à se fatiguer, le manque de nourriture flagrant en étant la cause la plus évidente. Une masse musculaire impressionnante a beau être exceptionnelle, si l’on ne peut l’utiliser, elle est complètement inutile. Son poitrail se soulevait frénétiquement, ses poumons essayant de capturer le plus d’oxygène possible. Un craquement lui fit tourner la tête, ses oreilles bien hautes. C’était cette petite louve qui l’avait suivi. Fourrure immaculée, yeux châtains dorés, fine ossature. Elle osa le regarder dans les yeux, prunelles aussi profondes qu’un puits sans fin. Elle s’emblait le juger. Alors il la jaugerait. Se tournant d’un bloc, bombant le torse, Salador se fit plus imposant. Il n’avait point besoin d’une jeunette dans ses pattes.

- Je… Je suis désolée. Je ne voulais pas vous suivre, mais… Les autres sont tellement… Hum… Inintéressants.

Incertaine, de surcroît.

- La prochaine fois, fais attention au sens du vent et où tu mets tes pattes. Une telle erreur, et tu te fais piétiner par ces bêtes à sabots.

Un bruit attira son attention, un murmure. Ils étaient là, tout près… Parmi le brouillard, derrière lui. Alentours… « Les entends-tu? Entends-tu tes ancêtres? » murmura-t-il d’une voix rauque et mystérieuse. Enfin.