Je continuais d'avancer à petits pas prudents, ne faisant aucune confiance au sol instable de la colline. En effet, ce dernier n'attendait très certainement qu'une seule chose : glisser sous mes sabots, me faire chuter, m'entraîner dans un éboulement, me casser une jambe, et autres plaisanteries du même genre. N'ayant - ce qui est compréhensible - aucune envie de me tordre le cou, j'inspectais minutieusement chaque endroit où j'allais poser mes sabots, n'hésitant pas à le tâter de la pointe quand il me paraissait trop suspect. Autrement dit, je regardais par terre. Essayant d'ignorer les croassements sinistre de la bestiole à plume qui me suivait depuis un bon moment. Fatalement, puisque je ne regardais pas devant moi, je ne vis pas arriver l'énorme tronc d'arbre couché qui barrait le sentier - sentier réalisé par les milliers d'animaux qui y avaient marché avant moi mais de toute évidence
avant la chute de cet arbre. Et puisque je ne le vis pas, et que je marchais avec les naseaux presque au ras du sol, je me le pris en pleine tête. Ouch. Je reculais d'un pas, sonné, ayant l'impression de m'être cogné contre un rocher. Je secouais la tête pour reprendre mes esprits, tout en ayant la curieuse impression que le volatile derrière moi était en train de
rire. Sale bête. Si jamais j'arrive à t'attraper entre mes dents, tu vas subir un mauvais quart d'heure... Pourquoi faut-il que je sois obligé de supporter cet oiseau noir ? Il n'a pas mieux à faire, comme par exemple aller croquer quelques noix ou je ne sais quel autre aliment apprécié des corbeaux ? Ou peut-être encore une famille à nourrir ? Allez, dégage ! Enfin, heureusement quand même qu'il a été le seul témoin de ma mésaventure, au moins personne ne sera au courant... il est bien le seul témoin, n'est-ce pas ? N'est-ce pas ?
Je me demande bien ce que vient faire cet étalon ici. Il n'y a pas beaucoup de monde, en général, dans le coin. Trop désolé, et trop de souvenirs pour ceux qui le connaissaient avant la Catastrophe. En plus le terrain est assez mauvais. Evidemment, moi, je m'en fous. La qualité du sol ne pose aucun problème à un ailé. Pitoyables créatures coincées sur la terre, incapables de goûter les joies du ciel, à jamais piégées dans un monde en deux dimensions. Je déployais mes ailes et sautais, plus que volais, vers la prochaine branche intérressante. Ce mangeur d'herbe avançait si lentement que, pour le suivre, j'aurais dû faire un sur-place - très compliqué pour un corbeau, franchement moi je n'ai jamais vraiment réussi - ou des demi-tours incessants. Alors, c'est plus simple d'aller de branche en branche. Et puis, pas la peine de vérifier si elles sont solides ou pourries. Si elles cassent ou s'effondrent, il me suffit d'écarter les ailes. Rien de bien sorcier. Et c'est là que je vis se profiler LE gag. Un arbre était tombé sur le sentier, probablement à cause de la dernière tempête. Vraiment un gros arbre, en plus. Impossible à rater. Sauf que l'autre, en bas, semble nourrir une certaine passion pour l'étude de ses sabots. S'il ne redresse pas la tête... Ah ah. J'en ris d'avance. Mais il ne faut pas que je l'en avertisse pas avance, donc je maîtrise mon envie de rire... Ah, plus que deux mètres.... un... et... BAM !
" Mwarf mwarf mwaaarf ! " ricanais-je, ravi.
Bien sûr, le sourire hilaire n'accompagnait pas ce rire. Vous avez déjà essayé de sourire avec un bec dur comme de la pierre, vous ? C'est complètement impossible. Alors, quand un oiseau sourit, c'est avec les yeux surtout. Et là, mes yeux brillent comme deux petites étoiles... En tout cas, c'est une belle histoire à raconter et à raconter encore, celle-là. C'est alors que je vis un mouvement dans les arbres. Tiens tiens, deux visiteurs en une seule journée ? Incroyable. Cette colline commence à devenir bien trop fréquentée ! ... Je me demande si celui-là a vu ce qui s'est passé... si oui, je sens que je vais encore plus rire.