Event HJ ¤1 ; Dessine-moi

J’ouvris lentement les yeux et lâchais un hoquet de stupéfaction. J’étais devant un édifice immense. J’aurais juré qu’il faisait plusieurs centaines de mètres de haut, et j’étais écrasée par son allure imposante. Une violente bourrasque – était-ce un ouragan ? – le fit vaciller, et j’eus peur de me faire écraser. Comment cette chose pourrait-elle résister à un vent si puissant ? Pourtant, je savais que je ne risquais rien. Après tout, cela ne mesurait même pas une dizaine de centimètres. Ce n’était qu’un brin d’herbe qui ployait sous le vent. Un vent, d’ailleurs, que je jugeais terrible mais qui n’était probablement qu’une petite brise. Je détournai mon regard de l’énorme végétal, et accordai plus d’attention à ce qui m’entourait. J’étais comme plongé au cœur d’une cité, environnée de gratte-ciels. En fait, j’étais au milieu d’une prairie. Mais j’étais minuscule. Les graviers étaient pour moi des rochers colossaux, et le moindre trou un gouffre sans fond. C’était terrifiant. Je sentis l’adrénaline monter dans mon organisme. J’étais, en quelque sorte, en territoire inconnu. Un monde encore inexploré se tenait devant moi. Je faisais partie de ce monde, en fait. Je me demandais brièvement ce qui se produirait si jamais un humain venait à passer par là. Il ne me verrait même pas. Il m’écraserait sans le savoir. Mais moi, aurais-je le temps de comprendre ce qui se passe, ou verrais-je seulement quelque chose obscurcir le soleil, avant de mourir ? Cependant, une telle chose ne pouvait pas arriver, bien sûr. Ma raison savait bien que je ne risquais rien, mais mon esprit, lui, avait bien du mal à s’en convaincre...

Soudain, je sentis le sol trembler. Une boule brunâtre s’avançait vers moi ! Elle faisait au moins deux fois ma taille. Je lâchais un cri, laissant tomber ma politique du « rien ne m’effraie » et je pris mes jambes à mon cou. J’étais douée en course à pied, et j’avais remporté le championnat des lycéens de ma région l’année dernière. La peur me donnait des ailes. Pourtant, je ne parvenais pas à distancer le monstre. Pire, il me rattrapait ! Je sentais son ombre qui grandissait dans mon dos. J’allais mourir écrasée ! Dans un ultime sursaut d’intelligence, je bondis sur le côté, roulant dans la terre et la boue sur… oh, quelques centimètres. Je me souvins qu’effectivement, il avait plu ce matin, et qu’il était donc logique que la terre soit détrempée. Je songeais en même temps que mes habits étaient fichus. Mais j’avais échappé au danger. Le souffle court, je regardais un insecte – un bousier, m’informa gentiment ma conscience à qui je n’en demandais pas tant – pousser la boule et passer devant moi. J’avais bien failli être tuée par… une boule de bouse, fumier, et autres déjections animales. Une boule mise en mouvement par un simple insecte. Plus jamais je ne regarderai cette catégorie du vivant de la même manière.

A cet instant, une voix résonna dans ma tête.

« Mademoiselle, votre période d’essai est terminée. »

Tout à coup, les images que mes yeux percevaient se brouillèrent et tout devint noir. Je sentis qu’on retirait quelque chose de mes oreilles, et j’entendis à nouveau le brouhaha de voix humaines impatientes. Cela contrastait tellement avec ce que je venais de vivre que je restais quelques instants interdite. Puis, je me ressaisis et enlevai le casque de réalité virtuelle que je portais, ainsi que la combinaison sensorielle truffée de capteurs. J’offris au présentateur du produit un grand sourire, ravie de l’expérience. Ensuite, je passai le matériel à un gamin – celui qui devait prendre ma place. En tout cas, on peut dire ce qu’on veut, mais les fabricants font des jeux de plus en plus perfectionnés ! On s’y croit vraiment.

Une odeur désagréable me tira du sommeil. Tandis que mes mâchoires s'étiraient en un bâillement sonore, je m'ébrouai, tentant de chasser cette effluve. La tête me tourna légèrement, et je me forçai à quitter l'étreinte de l'inertie. J'avançai d'un pas, et m'écrasai lourdement sur le sol. Un couinement aiguë s'échappa de ma gorge, tandis que je me redressai, troublée. Un fossé s'était-il donc creusé dans ma tanière ? Détaillant le sol criblé de trous difformes, une frayeur lugubre s'empara de mon corps. Quelque chose avait changé. Le parfum dérangeant agressait mes narines, et je cherchai sa source, sans pourtant la trouver. Avisant la sortie de mon repaire, je ne cru qu'à peine ce que je voyais. Une bouche béante avait été ouverte vers l'extérieur, m'arrachant toute forme d'intimité ou de sécurité. Le temps semblait avoir filé si vite durant cette courte nuit, que les arbres étaient maintenant centenaires. Tout cela était impossible. Sans même avoir reçu d'ordre de mon cerveau, mes pattes entreprirent de me guider vers la forêt. Plus je m'en approchais, plus le parfum s'amplifiait. Et lorsque enfin j'atteignis le soleil, mon attention fût attirée par un monstre armé de pinces tranchante et d'une carapace certainement impénétrable.

Pétrifiée d'horreur, le cœur battant la chamade, je retroussai mes babines, dévoilant mes crocs puissants. Pourtant, la créature était si haute qu'il me serait sûrement impossible de la vaincre. Tout cela ne pouvait s'agir que d'un rêve. Je n'avais donc rien à craindre. Fonçant sur l'animal d'un noir aux reflets brunâtres, je fis claquer ma mâchoire sur l'une de ses huit pattes. Cette dernière se souleva du sol, et le monstre la déplaça vers l'avant, sans même se soucier de ma présence où de la douleur. L'odeur m'était maintenant insupportable, et je lâchai prise avec un haut-le-cœur. C'est alors que je remarquai une chose nouvelle : un énorme rocher poussé par l'animal. La fragrance fétide semblait en provenir, et je m'éloignai, dégoutée. Rapidement, l'ennemi continua sur son chemin. Détalant le long de ma tanière, j'en examinai les pans, eux aussi criblés de larges cavités. Je cherchai le somment de l'abri, mais le soleil brillait si fort qu'il me força à fermer les yeux. Tout cela était trop fou, trop insensé. Cherchant un point d'observation suffisamment haut pour repérer le monstre, j'entamai l'ascension de la paroi rocheuse, qui paraissait être une montagne. Après de longues minutes d'efforts, ma progression fût stoppée par des dizaines de fines membranes, traversées de veines foncées. Leurs imposantes tailles me forcèrent à faire demi-tour, et je retournai au sol, dépitée ..

Étais-je en train de tomber folle ? C'était fort possible. Tentant de rejoindre l'un des énormes arbres s'étirant à perte de vue, je tombai une nouvelle fois nez à nez avec des centaines et des centaines de membranes. Apparemment, elles étaient de nature végétale. Leur parfum me rappelait celui des feuilles, mais en beaucoup plus poussé. C'est alors que je compris. Rien avait changé ici. La seule chose qui n'était plus la même .. C'était moi ! Une panique incontrôlable me coupa le souffle, et mes yeux s'écarquillèrent de terreur. J'avais rétrécis ! Une bourdonnement sonore me vrilla les tympans, et ma vue se fit floue. Pétrifié d'angoisse, mon esprit m'échappa, laissant mon corps aux ténèbres ..